Depuis le temps que je donne des conférences sur l’art libre, les questions majeures qui découlent des discussions avec le public sont des questions de juste rémunération. Il semble que le fantasme médiatique de l’artiste avec un revenu constant, comme une norme, a bien fait son chemin dans l’inconscient collectif.
La vérité, c’est qu’un artiste, qu’il fasse de l’art libre ou non, ne vit qu’extrêmement rarement ou anecdotiquement des revenus de son art. La vérité statistique, c’est qu’il est plus fréquent qu’un footballeur vive du ballon rond, qu’un artiste de son art.
Souvent, le profane s’inquiète du revenu d’un artiste libre, du fait de la diffusion libre, là où, dans une société internautique, la diffusion des œuvres dématérialisées est déjà incontrôlable. Licence libre ou non, les revenus des artistes sont, par essence, incertains.
Depuis quelques temps déjà, je travaille et développe des musiques pour les films que je fais. Dans mon esprit, il me semble tout à fait normal de laisser à disposition les travaux que je fais pour moi-même à la distribution. Ces œuvres sont à disposition sous une licence libre ou une autre.
Naturellement, la réutilisation est autorisée, que ce soit pour des projets libres ou non. Certaines de mes musiques nécessitent une autorisation pour changer la licence, ou pour une utilisation commerciale. Généralement, l’obtenir n’est jamais un problème : un mail suffit.
Dans ce cas, pourquoi ne pas montrer son appréciation (de la musique gratos, c’est quand même le top), en envoyant un peu de keuss’ au créateur. Je dis pas : payer des droits d’auteurs, ça c’est juste n’imp’. Juste genre 5 ou 10€, surtout si vous le réutilisez dans un truc financé ! Vous êtes prêt à mettre des centaines d’€uros dans du matos, un hébergement web, ou que sais-je... 10€ pour un artiste qui offre gracieusement son travail, c’est juste un symbole de gratitude (et c’est toujours le bienvenu).
Et si vraiment, vous faites ça en amateur, un « merci » est toujours fortement apprécié, et puis l’occasion de voir un peu de ce que nos œuvres deviennent, c’est le fun !
Quand vous passez dans le métro et qu’un saxophoniste génial attire votre attention, vous montrez votre appréciation avec l’euro qui traîne dans votre poche ! Ce que je propose là, c’est un peu la même chose. Vous êtes là, vous appréciez suffisamment le travail d’un artiste pour que vous souhaitiez le réutiliser, n’hésitez pas à donner 5€. Je dis 5, parce qu’il faut déjà rentabiliser le timbre poste...
Mieux encore, si vous n’êtes qu’amateur ou mélomane, vous aimez l’artiste, soutenez-le ! Faites-le connaitre à vos amis, achetez ou offrez les versions physiques des œuvres (CD, DVD) réalisés par les artistes eux-mêmes...
Avec le concept de cyber-troubadour, acheter un CD devient véritablement un acte politique, un façon de financer la création future d’un artiste que vous appréciez.
Il y a pour moi une différence majeure entre utiliser du matériel (musiques, images, films) déjà réalisé par un artiste pour son travail personnel, et demander une contribution originale de l’artiste.
Dans le premier cas, le travail est déjà réalisé... la licence libre est là pour faciliter une réutilisation de l’œuvre.
Par exemple, on me demande souvent d’utiliser certaines de mes compos pour des courts métrages, des montages photos, etc... Dans ce cas, pas de problème.
Dans le second cas, ce que l’on demande de l’artiste, c’est de travailler, gratuitement. Par exemple, on vient régulièrement me voir en me disant “ouais, j’aime bien ce que tu fais, ce serait cool que tu fasse un clip pour mon groupe...” ou bien “J’aime bien ta musique, je suis en train de faire un court métrage financé par le CNC, mais on a pas les moyens de payer un compositeur, ça te dit de travailler sur le projet pour te faire connaitre ?”
Cette hypothèse est simplement inacceptable. Peu importe comment on le retourne, un service est un service, licence libre ou non. L’argument "pour te faire connaitre" n’est en aucun cas un argument valable. La reconnaissance, ça ne nourrit pas l’artiste. Si vous voulez faire travailler un artiste, rémunérez-le, ne serait-ce qu’un petit peu. Sinon, sachez vous contenter de ce qui existe déjà et être reconnaissant envers ceux qui vous laissent utiliser leur travail.
Par ailleurs, les artistes libres qui font leur travail professionnel sous licence libre vous offriront l’avantage de ne pas avoir à vous soucier des royalties et de toute la paperasse légale (SACEM, etc..) liées aux droits d’auteurs de leurs œuvres. N’hésitez donc pas à partager avec eux une partie des économies que vous ferez par la suite...